Nos fondatrices

Sainte Colette

A Philippe de Saveuse, gouverneur de Picardie, qui la suppliait de fonder un Couvent à Arras, Colette répondit:

« En Arras, si je n’y vais vivante, j’irai morte »

Cette promesse prophétique devait s’accomplir en 1577, alors que la guerre des Huguenots ravageait les Flandres. En effet, fuyant leur monastère de Gand, les Clarisses trouvèrent refuge chez leurs sœurs d’Arras, emportant avec elles ce qu’elles considéraient comme leur plus précieux trésor : les reliques de sainte Colette. Deux siècles, après François et Claire, dans une France déchirée par la guerre de cent ans, alors que l’Eglise est divisée par le grand schisme, Colette, fille d’un charpentier, née à Corbie (Picardie) le 13 janvier 1381, entrée en reclusage en cette même ville à l’âge de 20 ans, reçoit de Dieu, à 24 ans, la mission de réformer l’Ordre franciscain, de rétablir la pauvreté voulue par François et Claire.  Se rendant alors à Nice, pour rencontrer le Pape Benoît XIII et lui exposer sa cause, celui-ci « la bénit et la fit mère et abbesse de toutes les religieuses qui viendraient à la réforme».

Reçue dans l’ordre de Sainte Claire par le Pape lui-même,

elle rétablit la Règle et en fait un commentaire : les « constitutions », rédigées officiellement en 1434. Elle rédigea ou dicta aussi divers conseils à ses religieuses et écrivit de nombreuses lettres. Elle fait de Besançon le berceau de la Réforme, elle fonde ou réforme 17 monastères, invitant ses sœurs à vivre la perfection du Saint Evangile à la suite du Christ : Dans la prière et en clôture : « Mettez parfaitement votre cœur en Dieu » Dans la pauvreté et le travail : « Aimez la pauvreté comme votre plus précieux trésor….c’est le plus riche des héritages que saint François nous ait légué. Vivez et mourrez pauvres comme fit notre doux Sauveur en croix… » Dans l’obéissance : « …dans laquelle se montre l’excellence de la charité. » Et enracinées dans le parfait amour : « Louez le Seigneur, aimez-le, servez-le dignement… » Toute sa vie se déroula dans la soumission et l’amour de l’Eglise. Sur les routes ou au fond des cloîtres, elle prie, elle adore Jésus-Christ Eucharistie, elle contemple le Christ crucifié, elle brûle de zèle pour le salut des hommes, elle lutte et souffre. Elle aime par dessus tout le psautier, elle loue et exalte son Seigneur. Malgré des oppositions opiniâtres qui entravent son œuvre, elle est connue et aimée dans tous les milieux : lumière pour nombre de frères mineurs qui l’appellent leur « douce Mère », chemin vers Dieu pour les tertiaires ; les Papes la soutiennent et l’encouragent, les grands la respectent et se font un honneur de l’aider, les gens du peuple la vénèrent, tous sollicitent d’elle des miracles. « Louez, louez toujours, louez sans fin et aimez le Père, le Fils et le Saint Esprit. » Après sa mort à Gand (Flandres), le 6 mars 1447, son influence s’étend…. dans le monde entier , les clarisses reconnaissent Colette comme leur Mère.

« Que le salut nous soit donné comme pure grâce, par le Père de toute miséricorde, par le Fils et sa sainte Passion, par le Saint-Esprit, source bénie de paix, de douceur, d’amour et de toute consolation. »

Bénédiction de Sainte Colette

Sainte Claire

Il y a huit cents ans naissait Claire d’Assise du noble Favarone d’Offreduccio.

Cette « femme nouvelle », comme l’ont écrit d’elle dans une Lettre récente les Ministres généraux des familles franciscaines, vécut comme une « petite plante » à l’ombre de saint François qui la conduisit au sommet de la perfection chrétienne. La commémoration d’une telle créature véritablement évangélique veut surtout être une invitation à la redécouverte de la contemplation, de cet itinéraire spirituel dont seuls les mystiques ont une profonde expérience. Lire son ancienne biographie et ses écrits – la Forme de vie, le Testament et les quatre Lettres qui nous sont restées des nombreuses qu’elle a adressées à sainte Agnès de Prague – signifie s’immerger à tel point dans le mystère de Dieu Un et Trine et du Christ, Verbe incarné, que l’on en reste comme ébloui. Ses écrits sont tellement marqués par l’amour suscité en elle par le regard ardent et prolongé posé sur le Christ Seigneur, qu’il n’est pas facile de redire ce que seul un cœur de femme a pu expérimenter.

L’itinéraire contemplatif de Claire, qui se conclura par la vision du « Roi de gloire » (Proc. IV, 19 : FF 3017), commence précisément lorsqu’elle se remet totalement à l’Esprit du Seigneur, à la manière de Marie lors de l’Annonciation : c’est-à-dire qu’il commence par cet esprit de pauvreté (cf. Lc I, 26-38) qui ne laisse plus rien en elle si ce n’est la simplicité du regard fixé sur Dieu.

Pour Claire, la pauvreté – tant aimée et si souvent invoquée dans ses écrits – est la richesse de l’âme qui, dépouillée de ses propres biens, s’ouvre à « l’Esprit du Seigneur et à sa sainte opération » (cf. Reg. S. Ch. X, 10 : FF 2811), comme une coquille vide où Dieu peut déverser l’abondance de ses dons. Le parallèle Marie – Claire apparaît dans le premier écrit de saint François, dans la Forma vivendi donnée à Claire : « Par inspiration divine, vous vous êtes faites filles et servantes du très haut Roi suprême, le Père céleste, et vous avez épousé l’Esprit Saint, en choisissant de vivre selon la perfection du saint Évangile » (Forma vivendi, in Reg. S. Ch. VI, 3 : FF 2788).

Claire et ses soeurs sont appelées « épouses de l’Esprit Saint », terme inusité dans l’histoire de l’Eglise

D’ordinaire, la soeur, la religieuse, est toujours qualifiée « d’épouse du Christ ». Mais on retrouve là certains thèmes du récit de Luc de l’Annonciation (cf. Lc 1, 26-38), qui deviennent des paroles-clefs pour exprimer l’expérience de Claire : le « Très Haut », « l’Esprit Saint », le « Fils de Dieu », la « servante du Seigneur » et, enfin, cet « ensevelissement » qu’est pour Claire la prise du voile, alors que ses cheveux, coupés, tombent au pied de l’autel de la Vierge Marie dans la Portioncule, « presque devant la chambre nuptiale «  (cf. Legg. S. Ch. 8 : FF 3170-3172).

« L’opération de l’Esprit du Seigneur », qui nous est donné dans le baptême, est de créer chez le chrétien le visage du Fils de Dieu. Dans la solitude et dans le silence, que Claire choisit comme forme de vie pour elle et pour ses compagnes entre les pauvres murs de son monastère, à mi-côte entre Assise et la Portioncule, se dissipe le voile de fumée des paroles et des choses terrestres, et la communion avec Dieu devient réalité : amour qui naît et qui se donne.

Claire, penchée en contemplation sur l’enfant de Bethléem, nous exhorte ainsi :

« Puisque cette vision de lui est splendeur de la gloire éternelle, clarté de la lumière éternelle et miroir sans tache, chaque jour porte ton âme dans ce miroir… Admire la pauvreté de celui qui fut déposé dans la crèche et enveloppé de pauvres linges. O admirable humilité et pauvreté qui stupéfie ! Le Roi des anges, le Seigneur du ciel et de la terre, est couché dans une mangeoire ! » (Lett. IV, 14. 19-21 : FF 2902-2904).

Elle ne se rend pas même compte que son sein de vierge consacrée et de « vierge pauvre » attachée au « Christ pauvre » (cf. Lett. II, 18 : FF 2878) devient aussi, au moyen de la contemplation et de la transformation, un berceau du Fils de Dieu (Proc. IX, 4 : FF 3062) . C’est la voix de cet enfant qui, de l’Eucharistie, dans un moment de grand danger – quand le monastère va tomber aux mains des troupes sarrazines au service de l’empereur Frédéric II – la rassure : « Je vous protègerai toujours ! » (Legg. S. Ch. 22 : FF 3202).

Dans la nuit de Noël de 1252, Jésus enfant transporte Claire loin de son lit d’infirme et l’amour, qui n’a ni lieu ni époque, l’enveloppe dans une expérience mystique qui l’immerge dans la profondeur infinie de Dieu. Si Catherine de Sienne est la sainte pleine de passion pour le sang du Christ, si Thérèse la Grande est la femme qui s’avance de « demeure en demeure » jusqu’à la porte du Grand Roi, dans le Château intérieur, et si Thérèse de l’Enfant-Jésus est celle qui parcourt avec simplicité évangélique la petite voie, Claire est « l’amante passionnée du  pauvre Crucifié »,avec lequel elle veut absolument s’identifier.

Dans une de ses lettres elle s’exprime ainsi :

« Vois que Lui, pour toi, s’est fait objet de mépris, et suis son exemple, en devenant, par amour de lui, méprisable en ce monde. Admire… ton Époux, le plus beau parmi les fils des hommes, méprisé, frappé et plusieurs fois flagellé sur tout le corps, et allant jusqu’à mourir dans les douleurs les plus atroces sur la croix. Médite et contemple et aspire à l’imiter. Si tu souffres avec Lui, avec Lui tu règneras ; si tu pleures avec Lui, avec Lui tu te réjouiras ; si tu meurs avec lui sur la croix des tribulations, tu possèderas avec Lui les demeures célestes dans la splendeur des saints, et ton nom sera écrit dans le Livre de vie… » (Lett. II, 19-22 : FF 2879-2880).

Claire, entrée au monastère à dix-huit ans à peine, y meurt à cinquante-neuf ans, après une vie de souffrance, de prière jamais relâchée, de restriction et de pénitence. Pour cet « ardent désir du  pauvre Crucifié », rien ne lui pèsera jamais, au point qu’elle dira en mourant au frère Rainaldo qui l’assistait « dans le long martyr d’aussi graves infirmités… Depuis que j’ai connu la grâce de mon Seigneur Jésus-Christ au moyen de son serviteur François, aucune peine ne m’a pesée, aucune pénitence n’a été lourde, aucune infirmité n’a été dure, très cher frère ! » (Legg. S. Ch. 44 : FF 3247).

Mais celui qui souffre sur la croix est aussi celui qui reflète la gloire du Père et qui entraîne avec lui dans sa Pâque qui l’a aimé jusqu’à en partager les souffrances par amour.

La fragile jeune fille de dix-huit ans qui, fuyant de chez elle la nuit du dimanche des Rameaux de l’an 1212, s’aventure sans hésitations dans la nouvelle expérience, en croyant en l’Evangile que lui a indiqué François et en rien d’autre, entièrement plongée avec les yeux du visage et ceux du coeur dans le Christ pauvre et crucifié, fait l’expérience de cette union qui la transforme : « Place tes yeux, écrit-elle à sainte Agnès de Prague, devant le miroir de l’éternité, place ton âme dans la splendeur de la gloire, place ton cœur en Celui qui est image de la substance divine et transforme-toi entièrement, au moyen de la contemplation, en l’image de sa divinité. Alors, toi aussi tu éprouveras ce qui est réservé à ses seuls amis, et tu goûteras la douceur secrète que Dieu lui-même a réservée dès le début à ceux qui l’aiment. Sans même accorder un regard aux séductions, qui dans ce monde trompeur et agité tendent des pièges aux aveugles qui y attachent leur coeur, aime de toute ta personne Celui qui, par amour pour toi, s’est donné » (Lett. III, 12-15 : FF 2888-2889).

Alors, le terrible lieu de la croix devient le doux lit nuptial

La « recluse à vie par amour » trouve les accents les plus passionnés de l’Épouse du Cantique : « Attire-moi à toi, ô céleste Époux !… Je courrai sans jamais me fatiguer, jusqu’à ce que tu m’introduise dans ta cellule » (Lett. IV, 30-32 : FF 2906). Enfermée dans le monastère de saint Damien, menant une vie marquée par la pauvreté, par la fatigue, par les tribulations, par la maladie, mais aussi par une communion fraternelle si intense qu’elle est qualifiée dans le langage de la Forma di vita par le nom de « Sainte Unité » (Bulle initiale, 18 : FF 2749 ), Claire connaît la joie la plus pure qui ait jamais été donnée d’expérimenter à une créature : celle de vivre dans le Christ la parfaite union des Trois personnes divines, en entrant presque dans l’ineffable circuit de l’amour trinitaire.

La vie de Claire, sous la conduite de François, ne fut pas une vie érémitique, même si elle fut contemplative et claustrale. Autour d’elle, qui voulait vivre comme les oiseaux du ciel et les lys des champs (Mt. VI, 26-28), se rassembla un premier groupe de soeurs, satisfaites de Dieu seulement. Ce « petit troupeau », qui s’agrandit rapidement – en août 1228 les monastères des clarisses étaient au moins 25 (cf. Lett. du Cardinal Rainaldo ; AFH 5, 1912, pp. 444-446) – ne nourrissait aucune crainte (cf.Lc XII, 32) : la foi était pour elles un motif de sécurité tranquille au milieu de tous les dangers. Claire et les soeurs avaient un coeur grand comme le monde : étant contemplatives, elles intercédaient pour toute l’humanité. En tant qu’âmes sensibles aux problèmes quotidiens de chacun, elles savaient prendre en charge chaque peine : il n’y avait pas de préoccupation d’autrui, de souffrance, d’angoisse, de désespoir qui ne trouvât un écho dans leur coeur de femmes priantes. Claire pleura et supplia le Seigneur pour la ville bien-aimée d’Assise, assiégée par les troupes de Vitale d’Aversa, obtenant la libération de la ville de la guerre ; elle priait chaque jour pour les malades et de nombreuses fois elle les guérit d’un signe de croix. Persuadée qu’il n’y a pas de vie apostolique si on ne s’immerge pas dans le flanc déchiré du Christ crucifié, elle écrivait à Agnès de Prague avec les paroles de saint Paul : « Je te considère comme une collaboratrice de Dieu lui-même (Rm XVI, 3) et un soutien des membres faibles et vacillants de son ineffable Corps » (cf. Lett. III, 8 : FF 2886).

Claire d’Assise, également en raison d’un genre d’iconographie qui a eu un vaste succès à partir du XVII° siècle, est souvent représentée l’ostensoir à la main.

Le geste rappelle, bien qu’avec une attitude plus solennelle, l’humble réalité de cette femme qui, déjà très malade, se prosternait, soutenue par deux sœurs, devant le ciboire d’argent contenant l’Eucharistie (cf. Legg. S. Ch. 21 : FF 3201), placé devant la porte du réfectoire, où devait s’abattre la furie des troupes de l’Empereur. Claire vivait de ce pain, que pourtant, suivant l’usage de l’époque, elle ne pouvait recevoir que sept fois par an. Sur son lit de malade, elle brodait du linge d’autel et l’envoyait aux églises pauvres de la vallée de Spolète.

En réalité, toute la vie de Claire était une « eucharistie« , car – à l’instar de François – elle élevait de sa clôture un continuel « remerciement » à Dieu par la prière, la louange, la supplication, l’intercession, les pleurs, l’offrande et le sacrifice. Tout était accueilli par elle et offert au Père en union avec le « merci » infini du Fils unique, enfant, crucifié, ressuscité, vivant à la droite du Père.