La fondation dès 1445
Sainte Colette, de retour dans le Nord, aurait aimé fonder un monastère dans sa ville natale. Hélas, rien ne pût faire fléchir l’opposition des bénédictins de l’Abbaye de Corbie, Philippe de Saveuse proposa alors une fondation dans la ville d’Arras, et invita Colette à s’y rendre : « Si je n’y vais vivante, j’irai morte », répondit-elle prophétiquement. La perte de la ville de Corbie fut un gain pour Arras ! Colette meurt le 6 Mars 1447 et, à peine 10 ans plus tard, Philippe de Saveuse jette les fondements d’un monastère dans la ville d’Arras, sur sa propriété située rue de Bronne, près de la porte de la vigne, aujourd’hui rue Sainte Claire.
Le 3 des ides d’Avril 1457, il obtient du Pape Callixte III la bulle d’érection du couvent, « fondé pour louer Dieu à perpétuité ». En 1460, 13 religieuses de Gand, formées par sainte Colette, prennent possession des lieux. Très vite, la communauté s’accroît et, en 1481, elle peut envoyer des religieuses fonder un monastère à Péronne avec les clarisses d’Hesdin.
En 1496, la communauté d’Arras fondera Cambrai en union avec les monastères d’Amiens, de Gand, de Bruges et d’Hesdin. Dès cette époque (fin XVe – début XVIe) la crypte de la chapelle des clarisses est recherchée par le peuple et la noblesse comme lieu de sépulture ; ce dont quelques épitaphes, visibles aujourd’hui encore dans la chapelle, sont la trace. L’histoire du monastère nous est presque inconnue jusqu’en 1570 ; nous savons qu’il s’accroît et prospère par la grâce de Dieu. De cette époque, datent le sceau original du Monastère, et un manuscrit dont on ne possède plus qu’une copie du XVIIe siècle. Son auteur semble bien être la neuvième abbesse : Marie du Mont Saint-Éloi.
En 1556, Arras passe sous domination espagnole. L’influence de Calvin se fait ressentir, les Pays-Bas sont presque conquis à la foi nouvelle, la France est agitée. Le 20 août 1577, les 21 clarisses de Gand doivent quitter leur monastère saccagé et brûlé. Elles font route vers Arras, emportant avec elles le corps de sainte Colette. Ainsi, Colette réalise sa parole prophétique : « En Arras, si je n’y vais vivante, j’irai morte. » Elle y demeura 7ans. Le monastère étant trop petit pour accueillir les 21 religieuses, elles se répartissent entre Arras, Cambrai et Hesdin.La paix revenue à Gand en 1585, elles regagnent leur patrie et laissent en signe de reconnaissance, une vertèbre de sainte Colette !
En Août 1596, l’épreuve s’abat sur le monastère : « Le confesseur, dix ou douze sœurs et une servante meurent de mauvaise maladie. » Ce grand malheur attire sur la Communauté une sympathie générale. L’évêque Matthieu Moullart, attribuant l’épidémie dévastatrice aux émanations putrides du ruisseau qui coule le long des remparts de la ville, s’empresse de la faire assécher. Cette épreuve pour la communauté est une des causes lointaines de la reconstruction de l’agrandissement du couvent. La construction date de 1457, nous sommes en 1596 ! Au XVIIe siècle, moines de l’abbaye Saint-Vaast et bienfaiteurs essayent de rendre la vieille demeure plus salubre. Aussi, en 1624, l’Abbé Philippe de Cavers décide-t-il de la reconstruire et de l’agrandir. L’Église seule demeure celle de la fondation ; elle ne subit que le changement de la porte d’entrée à cette époque et c’est le seul bâtiment qui, malgré guerres et révolution, restera jusqu’à nos jours.
En 1640, Arras devient française et ne cessera plus de l’être. En 1687, les clarisses d’Arras sont en procès. En effet, une saline (entreprise de production de sel par évaporation d’eau) a été construite à proximité du couvent et l’on y brûle de la houille, ce qui altère la santé des religieuses. Ce procès durera 40 ans ! L’arrêt final sera en faveur des clarisses, mais que de rebondissements ! Grâce à un arrêté du 27 Avril 1727 qui ordonne une enquête détaillée de tous les biens des monastères et abbayes du royaume, nous avons quelques renseignements sur l’état de la communauté à cette époque.Nous apprenons par exemple : que la communauté est composée de 26 religieuses et de 2 postulantes, que leur travail manuel ne leur apporte rien, qu’elles vivent de ce que le Seigneur leur envoie. Il y a deux prêtres et trois frères quêteurs qui mendient pour la communauté, et une servante qui assure le service de la porte du monastère. C’est à cette époque que l’on conçoit le projet soit de la construction, soit de la restauration de la petite chapelle du jardin, qui existe encore aujourd’hui et porte le millésime 1735. Côté rue sainte Claire, c’est autour de 1769 qu’est construite la porte d’entrée, murée aujourd’hui, et connue sous le nom de portail « de l’œil de Dieu ».
La Révolution Française
En 1781, les clarisses, expulsées de Gand, partent se réfugier à Poligny, emportant avec elles le reliquaire de Colette. Passant par Arras, elles prennent quelques heures de repos sur les lits de leurs sœurs, pendant que celles-ci veillent sur les reliques de la bienheureuse. Pour la seconde fois, Colette réalise sa promesse : « En Arras, si je n’y vais vivante, j’irai morte ». Le 12 Avril 1784, deux sœurs de Tournay, chassées elles aussi, sont accueillies parmi nous. Les années qui s’écoulent alors sont lourdes d’inquiétudes. En 1789, la révolution française éclate, l’Église de France est menacée. La communauté des clarisses d’Arras, comme toutes les communautés religieuses, tombe sous le coup de décrets (suppression des vœux monastiques, des ordres religieux ; les biens du clergé deviennent biens nationaux….) Par deux fois, les officiers municipaux viennent au monastère et dressent l’inventaire de tous les biens, pièce par pièce, puis ils interpellent chacune des sœurs « afin de déclarer si elles veulent s’expliquer de leur intention de sortir de la maison de leur Ordre, ou d’y rester et de continuer la vie commune. » Toutes, y compris les deux exilées de Tournay, qui d’ailleurs ne disent mot sur leur origine, déclarent vouloir garder la Forme de vie. Non seulement, l’assemblée nationale avait supprimé les vœux monastiques, mais elle avait pris une mesure plus grave en interdisant la mendicité. Les temps sont très durs pour les clarisses, elles sont 27 à vivre au monastère. La communauté d’Arras se retrouve dans une telle misère qu’elle doit recourir à la municipalité, qui accueille sa demande et avance un secours à la communauté. Le secret de cette bienveillance est simple : l’Abbesse, Rose Claire Garin, est proche parente du révolutionnaire Guffroy qui joue un rôle considérable dans la ville ; on le dit son neveu. Cette protection de Guffroy permet à la communauté de suivre la forme de vie plus d’une année encore. Mais le triomphe de la Commune, les massacres du 2 Septembre 1792 paraissent lourds de douloureux présages.
Par ordre du gouvernement, la dispersion est exigée pour le 1er Octobre 1792.
Le matin du 1er Octobre, les clarisses se réunissent au chœur, font toutes ensemble la promesse de toujours rester fidèles à Dieu et à l’Eglise, s’embrassent une dernière fois et quittent le monastère par petits groupes de deux ou trois. Aucune ne sera arrêtée. Certaines prennent le chemin de l’exil et se dirigent vers l’Allemagne ou la Pologne, d’autres choisissent de rester dans le Pas de Calais, cachées dans un coin retiré d’une maison. L’abbesse, Rose Claire Garin, se réfugie même dans le pigeonnier de sa maison natale à Sainte Catherine, y menant une vie édifiante. On raconte que : « Quelques uns de ses parents, la voyant toujours accompagnée d’un coffret dont elle ne voulait jamais se séparer, s’imaginèrent qu’il devait contenir le trésor du monastère. Un beau jour, leur curiosité n’y tient plus ; profitant de l’absence de la sœur, l’un d’eux soulève le couvercle et y découvre … un bréviaire ! » Dix jours après le départ des sœurs, le monastère et tous ses biens sont vendus aux enchères. Pour tirer parti de son bien, le propriétaire fera de l’église une fabrique de salpêtre. Quand au couvent il n’en restera rien, hormis la chapelle du jardin. Mais la main du Seigneur, qui dirige les événements, sauve l’église de la destruction : le 25 Juillet 1808, 16 ans après sa vente, elle deviendra église de la paroisse saint Nicolas en cité et sera rendue au culte !
Le retour de l’exil
Dès que les sœurs exilées apprennent de meilleures nouvelles de France, elles s’en reviennent, rejoignant l’une ou l’autre communauté renaissante. Vers 1802, trois sœurs exilées vivent au couvent d’Amiens. En Février 1813, elles reviennent à Arras, et sont accueillies chez les sœurs de sainte Agnès. Mais bientôt, un généreux bienfaiteur leur loue une petite maison, rue des chariotes. Là, une ancienne clarisse d’Hesdin vient les rejoindre. En 1815, elles songent sérieusement à faire renaître leur vieux couvent. Grâce à des aumônes, elles rachètent une maisonnette sur le terrain ayant appartenu au Monastère. Elles sont six maintenant, et déjà on peut compter parmi elles deux postulantes.
Voilà plus de 20 ans que les sœurs ont dû quitter Arras ; il y a celles qui ne peuvent revenir à cause de l’âge et de la maladie, celles qui ont rejoint la patrie céleste. Il leur faut maintenant obtenir le droit de vivre en communauté : pour cela une autorisation gouvernementale est nécessaire. S’engage alors un combat avec l’administration qui se refuse à leur donner l’autorisation d’exister. Au milieu de cette tourmente, un accident survient en 1818 , « car deux sœurs clarisses se sont répandues dans les campagnes pour quêter avec l’autorisation du maire d’Arras ». Leur passage fait beaucoup de bruit et passe des maires au Préfet, du préfet au ministre de l’intérieur… L’affaire est grave et inquiétante pour l’avenir.
L’évêque veut obtenir à la communauté cette reconnaissance légale, et puisqu’elle est refusée aux sœurs en tant que contemplatives, il oblige les clarisses à se déclarer enseignantes….ce contre quoi, et non sans raisons, s’élèvent les municipaux d’Arras. C’est le statu quo !
En 1825, les tractations reprennent avec les mêmes difficultés, le gouvernement se refuse à autoriser les communautés mendiantes. Les clarisses veulent rester fidèles à la pauvreté. Le combat est rude et douloureux : le Cardinal de la Tour d’Auvergne, évêque d’Arras, tente même de convaincre les sœurs de céder en leur faisant prêcher une retraite de 3 jours ! Au terme de celles-ci, c’est le Cardinal qui cède en accordant à la communauté le délai supplémentaire sollicité par l’Abbesse ! Que va-t-il se passer durant ce sursis ? En ces jours-là, le roi Charles X visite le comté d’Arras….Les clarisses décident de profiter de la circonstance pour se faire reconnaître par le Roi. Elles confectionnent une petite crèche, qu’une sœur externe ira offrir au monarque au nom de toutes. De fait, en lui remettant l’humble présent, elle lui expose le drame qui se joue quant à la reconnaissance de la communauté. Le roi Charles X accueille la crèche avec plaisir, et répond à la sœur que le monastère n’a pas à se tourmenter, qu’il l’assure de sa puissante protection et promet de ne jamais l’inquiéter. Voilà la communauté tirée d’affaire !
Le monastère de 1847
Elles étaient 6 en 1815, elles sont 15 en 1830, la petite maison devient étroite et la vie est dure : sœur Marie Colette en témoigne en 1863 : « L’exiguïté du local que nous habitions nous faisait beaucoup souffrir. Le grenier nous servait de dortoir et il nous abritait si imparfaitement contre l’intempérie des saisons que, dans l’hiver, nous trouvions habituellement nos lits couverts de verglas… Nous étions tellement à l’étroit que nous avions peine à y trouver place, bientôt même, il devint si incommode que nous étions obligées de disposer des cuves pour recevoir la pluie et la neige qui ne nous épargnaient pas. » L’église du couvent de 1457 est toujours leur église, elles assistent à la messe dans la chapelle de la sainte Vierge, derrière un grand voile qui les dérobe aux yeux du public, mais elles récitent l’office dans un petit oratoire construit près de leur maison. Un grand rêve les habite : reconstruire le monastère à l’endroit même où il fut planté en 1457 ! En 1835, elles rachètent l’église, la providence pourvoie de manière surprenante et en 1839, avec les bénédictines du Saint Sacrement, leurs voisines, elles rachètent une partie des terrains de l’ancien couvent. Enfin, elles vont pouvoir reconstruire le monastère. A peine le jardin est-il en possession de la communauté, que les sœurs veulent rendre à la sainte Vierge la place qu’Elle occupait jadis dans la petite chapelle. En procession, toutes les sœurs, pieds nus, au plus fort de l’hiver, ayant de la neige jusqu’à mi-jambes y transportent une statue de la Reine du Ciel ! Aucune des sœurs d’avant la dispersion de 1792 n’a pu revoir la chapelle du jardin, ni prier sur la tombe de ses sœurs ; elles auraient tant aimé indiquer aux nouvelles venues l’ancien emplacement des lieux !
En 1847, la communauté prend possession des nouveaux locaux. Le couvent de sainte Claire a su renaître de ses ruines ! Mais, il y fait très pauvre. Le bâtiment n’a pas de cloître et les sœurs doivent braver les intempéries pour se rendre d’un endroit à l’autre en traversant la cour. En 1888, le Père confesseur fait, par surprise, offrir une véranda aux sœurs ; elle sera achevée en 1890. Puis, ce bon Père réaménage tout le monastère (transforme le chœur des moniales, fait reconstruire le réfectoire et l’infirmerie, rénover le noviciat ; c’est l’époque aussi où le dortoir voit apparaître des cellules individuelles… En 1899, le monastère a la physionomie que nous lui connaissons aujourd’hui. En ce début de XXe siècle, républicains et catholiques entrent en conflit, en 1901 la loi Waldeck-Rousseau interdit les « congrégations religieuses ». La communauté n’a plus que deux alternatives possibles : se faire autoriser par le gouvernement, ou s’exiler avant le 1er octobre. Les sœurs se préparent à quitter le monastère, à quitter la France. Les communautés belges ouvrent toutes grandes leurs portes. (14 sœurs seront accueillies à Gand, 5 à Hassalt, 9 à Roulers). L’évêque, Monseigneur Williez leur dit simplement : « Je souhaite que votre décision soit la meilleure, sans en être bien convaincu. » De leur côté, les bienfaiteurs se refusent à opter pour le départ… Par eux, on apprend que monsieur le Maire a dit que la communauté des clarisses étant très ancienne, on les laisserait tranquilles, Monsieur le Préfet ayant la même idée…L’évêque quant à lui, sans rien exiger, se contentait de « trouver plus religieux de se faire autoriser ». Les sœurs se rangent à cet avis et renoncent à l’exil. Le Monastère sera reconnu le 27 septembre 1901, trois jours avant la dispersion envisagée. Pourtant, en 1903, les expulsions se font en masse, toutes les chapelles sont fermées. La communauté des clarisses s’unit au vœu commun adressé au Sacré-Cœur de Jésus, et s’engage à l’adoration perpétuelle du premier vendredi de l’année si grâce leur est faite de rester en France. Par grâce, elles pourront rester ! Ce ne sera pas le cas de tous.
Le 11 décembre 1905 est votée la séparation de l’Église et de l’État.
Le 14 décembre 1906, l’évêque est chassé de son évêché ainsi que les directeurs et élèves du grand séminaire. La vie religieuse se vit plus ou moins clandestinement.
La Première Guerre mondiale
Déjà la guerre se trame dans l’ombre : en Octobre 1914, les obus pleuvent sur la ville d’Arras qui sera détruite presque entièrement ; le monastère en reçoit trois ; les sœurs se réfugient à la cave avec le Saint Sacrement. Le préfet conseille à la population d’évacuer. Au monastère, les avis sont partagés. De nouveaux obus s’abattent sur le couvent, les bombardements font rage. La vie est rude. En février, le maire offre un sac de pommes de terre à une sœur externe qu’il rencontre.
En 1915, les bombardements ne cessent plus. Le 3 Juillet, l’évacuation générale est exigée. Au soir, les clarisses partent pour Belval, la Trappe leur ouvre ses portes et son cœur. Deux volontaires restent pour garder le monastère, et surtout maintenir une présence priante dans la ville déchirée. A Belval, les deux ordres contemplatifs poursuivent leur mission de prière. Et chacune met ses talents au service de la communauté : les sœurs sont au jardin, à la fromagerie, à la cuisine, à la lessive. La plus intime confiance règne, on voit même l’économat confié à une clarisse ! En 1918, deux postulantes entrent chez les clarisses à Belval, dont la célèbre sœur Saint Jean, future sœur externe connue à travers tout le diocèse grâce à ses pérégrinations en quête ! La communauté restera à Belval jusqu’en juin 1919, quelques mois encore après l’armistice. En effet, à Arras il faut retaper le couvent ; la chapelle ne sera rouverte au public qu’en mai 1920. La vie reprend peu à peu au monastère ; celui-ci subit quelques modifications. Le projet de construction d’un cloître est mis à l’étude, mais cela restera à l’état de projet jusqu’à aujourd’hui !
La Seconde Guerre mondiale
Le 1er Septembre 1939, l’Angleterre déclare la guerre à l’Allemagne et le soir la France la rejoint. Le 18 Mai 1940, Monseigneur Dutoit, évêque d’Arras, ordonne à la communauté des clarisses de gagner à nouveau Belval. Comme en 1914, deux volontaires, sœur Marie de la sainte Face et sœur saint Jean restent pour garder le couvent. A la Trappe de Belval, ce sont de joyeuses retrouvailles ! Les évènements se précipitent et l’armistice est signé, le 19 Juin 1940.
Les sœurs rentrent à Arras : la rue sainte Claire n’est plus que ruines, seul le monastère reste debout, à peine touché, protégé par le Ciel ! Les années 1941, 1942, 1943 s’écoulent dans un calme relatif, il n’y a pas de bombardements. 1944 présente une autre atmosphère : les alertes deviennent sérieuses. La cave sert de dortoir, et il faut même y faire plusieurs offices, de jour et de nuit. L’attaque des anglais est redoutable et en août, les prêtres allemands qui venaient célébrer au monastère annoncent leur départ. Les anglais font une entrée dans la ville. Arras est libérée ! Au monastère, le Te Deum éclate pour remercier Dieu.
Le Concile Vatican II
Après la seconde guerre mondiale, la vie reprend son cours au monastère. La communauté vit de dons, du jardin qu’elle cultive, de la quête faite par les sœurs externes. Au monastère, il n’y avait pas d’eau courante, pas ou peu d’électricité, pas de chauffage, une cuisinière au charbon qu’il fallait allumer tous les matins ; au parloir : deux grilles et un épais rideau noir. Côté outils de travail, tout était aussi rudimentaire : c’était souvent les familles qui fournissaient chariots, bêches, machines à coudre…Les sœurs ne sortaient jamais. « Cette situation ne nous empêchait pas d’être heureuses, témoignent les sœurs, et on ne regrette pas d’avoir connu ce temps là. » C’est dans ce contexte que le concile Vatican II est arrivé. Imaginez maintenant des sœurs qui ont vécu 20, 30, 40, 50 ans ainsi, et qui vont vivre le bouleversement qui va suivre… L’impulsion donnée par le concile encourage des liens entre les communautés, il en existait déjà puisque dès 1954, le monastère d’Arras était entré dans la fédération « sainte Colette » Besançon-Poligny. Les échanges demeuraient cependant épistolaires. Avec le Concile, on passe d’une fédération « sans sortie » à une fédération avec des visites de monastères (réunions fédérales, réunions d’abbesses….)
Le Concile allait donc donner un tournant et un fameux tournant à la communauté
- D’abord, il a permis l’unité de la communauté par l’intégration des sœurs externes, apparues en 1816 pour remplacer les frères quêteurs d’avant la Révolution. Celles-ci suivaient la Règle du Tiers Ordre avec des règlements et des statuts propres à Arras, étant plus ou moins autonomes selon l’époque. Elles vivaient dans une maison accolée au monastère dont elles ne partagèrent jamais la clôture. Désormais, elles suivent la même Règle que les autres sœurs, viennent au réfectoire, à la récréation, au chœur, au chapitre ; elles ont le même vêtement, le même horaire. Tout ceci s’est fait progressivement de 1967 à 1969, avec l’accord de la communauté et surtout de chaque sœur externe.
- Ensuite, le Concile a permis la transformation de la chapelle et du chœur (en 1968-1969). Transformation ayant des conséquences importantes au niveau liturgique (célébration de l’Eucharistie, des offices). L’adaptation demandée est énorme ! Passage du latin au français qui amène des répétitions tous les jours, des sessions de formation ; mais toujours il se trouve quelqu’un pour venir en aide à la communauté.
- Enfin, dès les débuts des années 1970, on voit aussi se transformer progressivement l’accueil : on y aménage des chambres pour les retraitants ; au parloir, on enlève une grille, puis les deux. Ce qui est remarquable, c’est que rien ne s’est fait dans la précipitation : l’adaptation s’est vécue en douceur, les décisions ont été prises ensemble, au rythme de la communauté. Une communauté dont l’Esprit Saint, j’en suis sûre, avait préparé le cœur à accueillir les dons que le Seigneur allait faire à son Eglise, et qui, dès les débuts du Renouveau sût accueillir un groupe de prière ; une communauté qui a su « tirer du neuf de l’ancien » et qui essaie, jour après jour, de s’ouvrir à la grâce des commencements.