« Les sœurs Clarisses dépendent de la générosité de donateurs pour leur vie ! Quelle interpellation portent-elles pour nous ?  Serait-ce une quête de l’oisiveté ou une fuite du travail ? Qui est proche de la communauté sait combien au contraire, les sœurs sont actives dans de multiples activités pour assurer leur quotidien (repas, entretien des locaux), pour mener à bien leur consécration à la prière, nourrir la vie communautaire, et, sans être exhaustif, pour accueillir toute personne en souffrance ou en quête de sens.Dépendre de la générosité de donateurs paraît un non-sens pour des femmes qui par ailleurs revendiquent leur liberté et leur désir de s’assumer dans leur vocation.

Aux yeux de notre monde contemporain, et de nos activités capitalistes, le modèle ne paraît pas tenir la route. Pourtant quelle entreprise peut se prévaloir d’une existence de 560 ans ? « Dans le monde », l’individu dépend de l’argent. Il tend à faire reposer sur lui l’acquisition de cet argent. Il promeut ses compétences et ses résultats pour les valoriser aux yeux d’autrui, qu’il soit client, employeur ou autres. L’être humain est de toute façon dépendant d’autrui. Les Sœurs dépendent des dons et de l’argent acquis par leur environnement.

Ce même environnement ne tient-il pas sa cohésion de par les valeurs cultivées et promues par les Sœurs ? Sans des témoins radicaux de l’intégrité, de la vie communautaire, de la foi en l’avenir, de l’accueil de tout être vivant, quelles seraient l’inspiration et la pérennité des entreprises et activités humaines ? Les Clarisses dépendraient donc de leur environnement tout comme leur environnement leur doit une sorte de semence de vie. Cette semence est transcendante. Le modèle des Clarisses a traversé le Moyen-âge, les royautés, les révolutions pour atteindre la période de l’économie capitaliste, et à nouveau témoigner d’une autre voie, de paix, de joie et d’attention aux êtres et à la création, au cœur des questions de ce début de XXIè siècle.

Ce modèle, ce droit à la pauvreté, sainte Claire l’a acquis avec force ténacité et combativité à l’égard des institutions et en particulier des papes. L’époque voulait que, pour exister, les ordres monastiques soient dotés de biens qui leur assurent une certaine indépendance économique. Disposer de ces biens donnait inévitablement un pouvoir et peut-être aussi un gage d’assurance à ceux des candidats à la vie monastique issus de la noblesse, et sans doute aussi à leurs parents.

Pour sainte Claire, il n’en est pas question. La vision qu’elle a pour son ordre est de s’en remettre totalement à la divine Providence. Et elle finira par obtenir ce « privilège de ne pas avoir de privilège » (Marco Bartoli). Mais le projet de la pauvreté est bien plus vaste et radical que celui de ne pas avoir de privilège. Il vise d’une part à toujours et sans cesse s’en remettre à Dieu et demeurer concrètement en relation intime avec Lui, dans tous les instants du quotidien, pour sa subsistance même.

La sœur Clarisse reçoit la vie à chaque instant. L’expérience de la pauvreté ouvre à la compréhension et à la compassion envers les pauvres et les blessés de la vie. Et aussi, en faisant dépendre d’autrui, la pauvreté pousse à s’ouvrir humblement aux autres. Autrui devient le signe de la Providence. Il apparaît avec ses richesses, ses dons, ses complémentarités.

Les Sœurs offrent en retour le service de la prière et de l’écoute. Elles donnent par leurs vies le témoignage d’une voie possible dans la charité, la prière, la relation fraternelle. Le dénuement, l’humilité de la démarche ouvrent un espace où autrui dispose de la liberté d’exprimer qui il est, de donner de ses biens, de déployer ses talents, d’offrir de son temps.

La pauvreté des sœurs offre une opportunité à leurs contemporains de déployer leur vie. Ainsi manifestant la gratuité et l’échange de dons, le lien vital entre les personnes, les sœurs témoignent de traits saillants de l’encyclique Laudate si, et bien sûr de l’Evangile, Pour ces raisons, et sans doute bien d’autres, aider les Sœurs à préserver leur modèle est un enjeu vital pour nous, leurs contemporains, car leur témoignage ne serait-il pas, non à contre-courant, mais au cœur du courant, au cœur de la vie, et source d’inspiration pour nos vies, nos familles, nos organisations ? »